Installations massives de centres de santé subventionnés par l’argent public : comment réagir ?

Vous avez certainement entendu parler du groupe Ramsay, anciennement Générale de santé, qui vient d’être autorisé à ouvrir des centres de santé ? On vous dit que le salariat va s’imposer aux infirmiers libéraux et que nous n’aurons plus le choix d’exercer en libéral. Comment réagir face à ces structures qui seraient une façon d’imposer le salariat à tous les infirmiers libéraux de France ?

Tout d’abord il n’y a pas que le groupe Ramsay qui s’intéresse aux soins infirmiers en ville, d’autres structures comme ADN SANTE, cherchent à ouvrir des centres de soins infirmiers (CSI) ou encore le projet ÉQUILIBRES.

Dans le cas du groupe Ramsay, qui est le premier groupe d’hospitalisation privée de France et d’Europe, il s’agit d’une expérimentation dite article 51 de structures de soins primaires autonomes inspirées du “modèle suedois” intitulé « PRIMORDIAL : les soins primaires c’est primordial ». Ces centres seront installés en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes.

L’article 51 qu’est-ce que c’est ?

L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (dite Loi Santé Agnès Buzyn) propose un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement alternatifs.

Le paiement par capitation / forfaitaire ?

Il y a déjà un projet de ce type provenant cette fois des Pays-Bas. Souvenez-vous, un pays qui s’interroge sur la légitimité de traitements coûteux pour les patients âgés de plus de 70 ans. (1)

Ce modèle a lui aussi été lancé l’année dernière dans le cadre de l’expérimentation« Article 51 » dit « EQUILIBRES » (EQUipes d’Infirmières LIBres REsponsables et Solidaires), consistant à rémunérer à la minute les infirmiers libéraux (mais sans inclure les majorations de déplacement, nuits, dimanches et fériés…). Les syndicats libéraux n’ont pas été consultés et se sont vivement opposés à cette expérimentation sur une société française très différente de celle des Pays-Bas, où d’ailleurs les infirmiers libéraux n’existent pas. Et surtout juste après avoir difficilement obtenu que les Actes Infirmiers de Soins (AIS) ne soient plus cotés au temps passé dans le cadre conventionnel du BSI… voici que l’Etat nous propose de nouveau ses fameux « Temps Médicaux Requis » (TMR). Le scandale étant que l’un de nos syndicats libéraux déclare dans la presse soutenir ce modèle…. (2)

A quoi joue l’Etat ?

L’Etat, comme trop souvent, nous tient donc ici un double discours puisque d’un côté il nous dit qu’il encourage la constitution d’Équipes de Soins Primaires (ESP) et de Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) et autorise de l’autre, en douce, ce type de structures frontalement concurrentes de nos cabinets libéraux.

Enfin, le fait que le gouvernement choisisse cette période sensible de crise sanitaire qui impacte fortement les libéraux très sollicités pour rattraper l’incurie sanitaire des gouvernements précédents est surtout de nature à renforcer ce sentiment de manque de respect auprès de la « technostructure ». Un sentiment de plus en plus répandu auprès des professions libérales à l’heure où l’Etat devrait tirer des leçons importantes de ses manquements précédents : faut-il continuer à refaire encore et encore les mêmes erreurs ?

Enfin, il semble très dangereux de voir notre gouvernement ouvrir les portes des soins primaires aux groupes privés. La Santé, nous le savons tous, fait plutôt mauvais ménage avec la libéralisation à outrance comme nous l’avons vu avec les centres dentaires (scandale Dentexia) (3) ou encore certains EHPAD dont les résidents et les familles ont payé un lourd tribut à la prise de contrôle par les groupes financiers.  Au final, ce seront les citoyens, à savoir les patients mais aussi les professionnels de santé qui vont faire les frais de tout cela. Ce ne sera jamais les investisseurs et actionnaires de ces grands groupes, souvent cotés en bourse à l’étranger qui seront inquiétés. D’ailleurs, est-ce que la Sécurité Sociale et son déficit désormais abyssal, financé par nos cotisations, doit financer la Bourse et les multinationales, par nature mercantiles et dénuées de notion d’intérêt collectif ?

Que faire désormais ?

Il est évident que la notion d’expérimentation est un leurre : comment le gouvernement demandera-t-il ensuite à ces centres de fermer après avoir investi des millions d’euros pour les créer et embaucher des centaines de salariés : vont-il encore nous faire le fameux coup du « chantage à l’emploi » bien connu ?

Le vrai danger pour les libéraux ne vient d’ailleurs pas du salariat, car il est loin, très loin d’être rentable sinon les SSIAD, les centres de soins (CSI) et les HAD pousseraient comme des champignons. Nous savons que la plupart sont déficitaires et ne tiennent financièrement que parce que les subventions publiques coulent à flot et qu’ils ont un recours massif à l’uberisation des libéraux. Ce danger d’’uberisation des infirmiers libéraux par ces structures qui leur délèguent les soins en empochant au passage leur dîme est tout simplement celui de l’aliénation de notre indépendance, point crucial de notre Code de Déontologie.

Il va falloir désormais défendre notre modèle libéral, celui qui a évité que les hôpitaux n’explosent lors de cette crise sanitaire et qui permet encore à la France de ne pas être un gigantesque désert médical.

La FNI dispose pour cela d’un projet politique clair :

  • Investir sur le triptyque socle des soins de ville que sont le médecin traitant, le pharmacien référent et l’infirmier libéral de famille ;
  • Rémunérer les Équipes de Soins Primaires (ESP) pour une patientèle commune ;
  • Développer les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé  CPTS afin d’investir la coordination autour des épisodes de soins ;
  • Garder la maîtrise de notre lien avec les patients en ville et avec les établissements de soins (inzee.Care) ;
  • Développer notre propre outil de certification et de qualité de suivi des soins (Qualidel).

Face aux risques importants que ces expérimentations font peser sur notre exercice libéral infirmier, la Fédération Nationale des Infirmiers et ses élus seront extrêmement vigilants quant aux suites données par la technostructure étatique et renouvelle son appel à ne pas collaborer avec ces structures qui proposent aux libéraux les inconvénients du salariat et du libéral sans aucun des avantages de ces statuts !

Enfin, la profession devrait aussi s’inquiéter de voir un de nos syndicats soutenir certaines de ces expérimentations, en sciant ainsi la branche sur laquelle ils sont assis et les intérêts de ses adhérents en risquant d’emporter une partie de la profession avec leurs délires d’apprentis sorciers.

Pour aller plus loin :

(1) https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences-et-ethique/Pays-Bas-polemique-autour-soins-ages-2019-06-04-1201026590

(2) Convergence infirmière soutient l’expérimentation de soins à domicile Equilibres : https://www.hospimedia.fr/actualite/breves/20190726-soins-a-domicile-convergence-infirmiere-soutient-l-experimentation

https://www.caducee.net/actualite-medicale/14476/equilibres-l-experimentation-qui-exaspere-les-infirmiers-liberaux.html

https://www.fni.fr/experimentation-article-51-de-la-forfaitisation/

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