Tentative de meurtre d’Éliane : seule avant, pendant, après

Victime d’une tentative de meurtre de la part d’un patient, cette Idel, qui officie depuis quinze ans en Alsace, raconte son calvaire révélateur de la place des infirmières libérales dans le système de soins mais également du peu de considération et de protection dont elles sont l’objet. Un récit édifiant.

« L’agression a eu lieu mardi 4 avril 2017, à 8 h 00 du matin, se souvient Éliane A., infirmière libérale en Alsace. A la demande de son médecin traitant, nous avions pris en charge un patient de 57 ans depuis quatre jours. C’est un médecin avec lequel nous avions l’habitude de travailler depuis plusieurs années. Il nous avait contactées au prétexte qu’il pensait que ce patient ne prenait pas régulièrement son traitement. Notre prise en charge consistait donc à passer chez ce dernier deux fois par jour pour lui donner son traitement. Nous n’avons pas eu plus d’informations, en particulier relatives à une éventuelle dangerosité ni à ses antécédents psychiatriques alors que le médecin le suivait depuis plusieurs années. » Ce n’est qu’une fois sur place que l’infirmière a constaté que le patient était limité intellectuellement, nerveux et qu’il doit notamment prendre un neuroleptique.

Seule pour appeler les secours
C’est lors de la troisième visite que les choses ont basculé. « Jusque-là, nous avions réussi à lui donner ses médicaments sans trop de difficulté, précise Éliane A.. On ne pouvait pas énormément communiquer avec lui mais nous arrivions à nous comprendre. Je n’avais pas senti d’agressivité particulière à mon encontre. Ce jour-là, j’ai donc sonné chez lui à l’interphone. » La personne a ouvert la fenêtre et a dit refuser de prendre ses médicaments. Après discussion, il a fini par accepter d’ouvrir la porte du hall de son immeuble à Éliane. Il l’y attendait avec un couteau de cuisine caché dans le dos et l’a empêché de ressortir.
« J’étais sidérée. J’ai essayé de lui parler mais il n’y avait plus moyen d’entrer en communication avec lui. Il a commencé à me poignarder tout de suite. Il a visé la gorge mais le couteau a dérapé sur la clavicule. Le premier coup s’est planté dans le thorax entre deux côtes. J’ai crié et je me suis débattue, si bien qu’il m’a sérieusement blessé à la main gauche puis m’a touché au biceps et à l’épaule gauche. Ce qui m’a sauvée, c’est que le manche s’est désolidarisé de la lame, laquelle est resté plantée dans le bras. Cela l’a déstabilisé. Il ne savait pas quoi faire. J’ai retiré la lame et je l’ai jetée par terre. Lui est rentré chez lui et moi je suis sortie dehors », raconte Éliane dont le téléphone portable était resté dans sa voiture. Elle a réussi à rester debout, ne sentant pas encore trop la douleur. « Une voisine est alors arrivée. Je lui ai demandé de m’aider mais elle était tétanisée. Je me suis donc débrouillée seule pour appeler les secours, malgré le sang sur les mains qui ne facilitait pas l’usage de mon téléphone. »

Trois mois d’arrêt seulement
Éliane A. a été emmenée en hélicoptère à l’hôpital au CHU de Hautepierre à Strasbourg. Après de nombreuses séances de kinésithérapie, elle a totalement récupéré de ses blessures au deltoïde et au thorax. En revanche, elle a définitivement perdu de la flexibilité et de la force au niveau du pouce gauche. Sans compter des douleurs récurrentes dans le haut bras. Elle a repris le travail au bout trois mois, d’abord à temps partiel, ses collèges ne parvenant pas à assumer la charge de travail supplémentaire. Financièrement, elle ne touchait que le montant que lui versaient les assurances privées qu’elle avait eu la prudence de contracter. En septembre 2017, elle reprit à temps plein. Mais les impacts sont encore bien présents. « Cet événement a eu impact familial. Ma fille aînée a eu une année scolaire difficile et comme à la maison, nous avons tous des horaires variables, désormais dès que l’un de nous est en retard, c’est la panique. »

Déclaré incurable puis libéré par erreur
Une enquête a été lancée pour tentative de meurtre sur professionnel de santé. C’est à ce moment-là qu’Éliane A. a appris les antécédents du patient : décompensation psychique à 19 ans et longue hospitalisation pour schizophrénie paranoïde. « Tout porte à croire que le médecin connaissait les troubles psychiatriques dont est atteinte cette personne. Après l’agression, il n’a jamais pris de mes nouvelles. Et depuis, il nous a adressé d’autres patients comme si de rien n’était », insiste-t-elle.
L’agresseur a été déclaré irresponsable pénalement mais pas civilement, ce qui va permettre à Éliane A. de toucher des dommages et intérêts. Il a d’abord été hospitalisé d’office en Soins psychiatriques sur décision d’un représentant de l’État (SDRE). Les experts qui l’ont examiné ont confirmé qu’il est dangereux pour la société et incurable.
Mais cela ne s’arrête pas là. « En février dernier, nous avons appris incidemment par des collègues qu’il avait quitté l’hôpital suite à une erreur administrative dans la transmission d’un certificat médical permettant de reconduire l’hospitalisation obligatoire, s’indigne Éliane A.. Mes avocats ont alors saisi la juge d’instruction. » Finalement, la justice vient de décider qu’il devait être interné dans un hôpital psychiatrique fermé et faire l’objet de mesures de sûreté pendant vingt ans.

Aucune information sur les patients
« Ce qui m’est arrivé est le résultat du manque de moyens des services de psychiatrie qui, faute de place, ne peuvent accueillir des patients qui représentent un danger pour les autres, déplore Éliane A.. Mais ce n’est pas aux professionnels de santé de ville, en particulier aux Idel, de les prendre en charge, a fortiori en étant livrés à eux-mêmes. » De plus, ce drame montre combien les Idel n’ont pas accès aux informations sur les patients qu’ils prennent en charge dans la mesure où, en règle générale, ni les hôpitaux ni les médecins de ville ne prennent la peine de les leur communiquer. « On n’arrête pas de parler du Dossier médical partagé (DMP) mais nous, Idel, n’en voyons pas la couleur et n’y sommes jamais intégrés, dénonce Éliane A.. Nous sommes en bout de chaîne et l’on nous considère comme de simples exécutants. Pour la plupart des patients, nous nous renseignons par nous-mêmes, en posant des questions, en téléphonant etc. Mais avec des patients de psychiatrie, cela n’est pas possible. On nous met alors en toute impunité dans des situations dangereuses qui ne nous permettent pas de faire notre métier dans des conditions normale. Et tout le monde s’en lave les mains d’autant qu’en psychiatrie, nous n’avons aucun référent, hormis le médecin traitant. S’il arrive quelque chose le soir après 19 h 00, on ne peut joindre personne. »

Éliane A. a géré ses problèmes seules sur plan juridique, administratif etc. Mais le plus dur reste les conséquences traumatiques : « Je suis toujours sujette à des insomnies et je suis suivie par une psychologue. J’ai de plus en plus peur de me retrouver seule chez des patients et j’envisage, à terme, d’arrêter l’exercice libéral. »

Alexandre Terrini

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